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mardi 30 décembre 2008

le carnet de voyage (4) - avril à septembre 2007

Semaine 4 – Malaisie – 24 mai 2007

Quatrième épisode : ça commence à sentir bon la saga. Promis je ne vous ferai ni dynastie ni les feux de l'amour, je n'ai que 4 mois. Menu du jour : Malaisie, suite et presque fin ! Pour épicer un peu la sauce et mettre un peu de nouveauté avant que la routine ne nous endorme, cette fois-ci j'annonce la couleur en préambule : 3 révélations au programme.

Je suis donc repassé par KL pour 2 ou 3 jours a priori, histoire d'en finir avec les trucs à touristes que je n'avais pas vus jusque là. Et pour essayer de sortir un peu avec la troupe du climbing trip de la semaine 1, aussi. Vu quelques temples supplémentaires, mais sans plus, et visité le plus grand jardin d'orchidées du monde, la plus haute volière à papillons du monde, le plus gros attrape-couillons d'Asie du sud-est. Faut dire qu'ils s'y entendent dans le créneau Guinness book : il suffit de créer une nouvelle catégorie dans laquelle tu puisses te targuer d'être numéro un. A quand la piscine municipale avec les carreaux de douche les plus marron du monde? Ou le musée avec le plus de toilettes par étage du monde? En un mot, j'ai coché tous les trucs de mon LonelyPlanet histoire de pouvoir dire "ouais ouais, ça aussi j'l'ai fait"...
Bon, je suis quand même allé visiter les Batu Caves. Comme leur nom ne le laisse pas soupçonner, il s'agit d'une bukit (colline calcaire) percée de grottes. Grottes qui ont ceci de particulier qu'elles sont squattées depuis plus d’un siècle par des swami hindous avec de gigantesques barbes ET de gigantesques statues kitchissimes en colorama. C’est assez extraordinaire. Le soir même, je suis allé grimper à la salle de KL avec les potes d'Arnaud, puis boire un jus avec des nouilles au curry. Je devrais dire 'boire un jus avec eux, accompagné de nouilles au curry' sinon c'est ambigu... Très bonne soirée au demeurant mais je ne m'attarde pas plus parce que je n'avais plus qu'une idée en tête alors : me tirer de KL !
Première révélation : cette ville est la chose la moins agréable que j'aie vue, à ce jour, en Malaisie. Ca pue, ça va vite, c'est cher et laid, c'est excessif, c'est urbain, c'est moite etc. Dès le lendemain matin, j'ai donc tiré ma révérence et sauté dans le premier bus pour Melaka, 200 km vers le sud. Comptoir portugais puis hollandais puis britannique, poste stratégique sur le détroit éponyme et plaque tournante du commerce et de la navigation entre l'Inde et la Chine bien avant que les Européens ne découvrent la roue... une merveille ! Des shop-houses et de petites rues, des temples thaï et hindous, de très vieilles mosquées aux minarets égyptiens typiques, de vieilles baraques coloniales hollandaises et anglaises, un fort et des églises portugaises, des trishaws fleuris qui jouent de la musique en transportant les clients ravis, une communauté de métis portugo-malais qui parlent un dialecte - le Kristan - aux accents brésiliens ("boa dia, onde va bos, senhor?"), des antiquaires spécialisés dans les vieilleries en cloisonné art-nouveau, pieds de lampes à motifs végétaux et autres bouddhas birmans en jade craquelé. Alors, on mange des boulettes de poulet et de poisson aux épices, on flâne, on se perd dans le (c'est reparti) "plus grand cimetière chinois du monde hors de chine", 25 hectares quand même... tout est lent et beau, pour un peu tout ne serait que calme et volupté. Le ciel est par-dessus le tas ; ô lac, suspends ton vol. Enfin n'exagérons rien...
La guesthouse où j'avais prévu de rester étant complète, j'ai erré un peu et suis arrivé à une autre, vieille, vieille demeure de 1916, plâtre qui s'écaille au plafond, bassin en petits carreaux de faïence dans la cour intérieure, pour tremper ses pieds entre les fougères, et chambres minuscules mais saines et claires. Une vieille dame respectable, anglaise du Lake District, aux yeux gris-bleus perçants et aux cheveux gris un peu anarchiques, m'est tombée sur le râble, ravie de pouvoir me parler anglais, puis français, puis espagnol. Elle m'a proposé de me doucher en vitesse et de couvrir mes cheveux pour l'accompagner à "une fête hindoue pas loin de là, ils servent le repas gratuit". Devant un tel argument je me suis exécuté, ai mis un turban sur mes cheveux encore mouillés et l'ai suivie - escortée devrais-je dire - pendant qu'elle me racontait ses années de jeune fille au pair à Marseille puis Madrid, entre 57 et 61, puis les 5 ans à Ibiza où elle avait rencontré la troupe qu'elle avait ensuite suivie en Inde dans un camion... On est arrivés au temple hindou, qui n'était pas un temple hindou mais la maison et dernière demeure d'un saint Sikh décédé en 1973. La fête en question est le rassemblement annuel des Sikhs d'asie du sud-est, tous descendants d'émigrés du Punjab, en mémoire de ce saint (sain baba singh). Ca s'appelle Barsi, et il faut essayer de s'imaginer une grande esplanade couverte par un chapiteau destiné à accueillir 10 à 12000 personnes pendant 3 jours. Lecture du Livre Sacré sikh en continu (50 heures non-stop), musique classique indienne (tabla, harmonium et chant), prières et méditation, don du sang (!!) et service de repas gratuits pour tous 24h/24. Ca dépasse l'entendement. J'ai laisse Elizabeth partir à la sieste après le déjeuner et ai commencé à me promener au milieu de grands hommes mats et barbus, avec d'interminables rouleaux de cheveux sous des turbans colorés et de jeunes et moins jeunes femmes punjabi en saris de fête, couleurs vives, perles et bracelets en argent, certaines tellement incroyablement belles que j'ai manqué me cogner ou tomber en catatonie. Des yeux d'une couleur que je n'avais jamais vue avant et dont je ne soupçonnais pas l'existence sur terre. Ehem... J'ai rencontré 2 gars à peu près de mon âge, Satpal et Indy, qui m'ont fait visiter, m'ont expliqué la philosophie et les bases de la foi sikh, m'ont présenté à TOUS leurs cousins, cousines, parents et grands-parents, m'ont invité aux sessions de musique et de méditation, m'ont fait communier et ont plus ou moins célébré à mon insu mon baptême sikh, non sans m'offrir le shekera, le premier d'une impressionnante série d'anneaux à porter au bras. Shekera que tu portes toujours au bras pour que toujours tu penses 'ce bras ne fera pas le mal'. Au rayon religion - chemin de vie, c’est du classique mais indémodable et efficace en toute circonstance. Ils sont partis dormir un peu à leur hôtel après avoir remangé un peu avec moi, et je suis allé faire un tour du côté des cuisines. En fait, toute la partie arrière de l'esplanade, où des groupes d'hommes et de femmes faisaient le service, la cuisine et la vaisselle. Je me suis assis parmi ceux qui, pliés en 2 sur des baquets de 100 litres, vidaient, rinçaient, lavaient, re-rinçaient puis essuyaient des centaines et des centaines d'assiettes et de gobelets en plastique. 2 heures plus tard - j'avais arrêté de compter les piles de 6 verres après la 200ième et j'avais les doigts frippés par l'eau et le savon - je suis parti manger un morceau avant de retomber littéralement sur mes nouveaux potes. Ils m'ont expliqué que le 'sevah', le travail volontaire pour la communauté, était un des piliers de la foi sikh et que si je le faisais spontanément et avec plaisir, je serais un bon Sikh. Trop cooooool ! Le lendemain matin je suis parti visiter Malacca quelques heures avant de retourner au barsi. Un repas de chapati, de currys et de morceaux de fruits salés, et je me suis posé à une table avec une dizaine de vieilles femmes qui épluchaient des oignons, coupaient des haricots verts et de la coriandre fraiche et rinçaient du chou-fleur. Deux heures et on a débité des dizaines de kilos de légumes que de gros barbus venaient chercher par cuvettes entières pour les jeter dans des marmites gigantesques, en y fourrant des sacs entiers de cannelle, de cumin et de clou de girofle. Proportions hallucinantes pour des plats délicieux et toujours végétariens : "nous les sikhs, on s'en fout, on peut manger ce qu'on veut, mais comme on accueille toutes les confessions librement, le meilleur moyen de ne mettre personne mal a l'aise, c'est de cuisiner végétarien"... Fascinant.
Encore une session de musique et de méditation, où je me suis fait offrir un CD du groupe qui jouait ses raggas sur l'estrade du petit temple, et puis encore le repas, et puis pas mal de gens qui venaient demander d'où je venais, si j'étais Sikh, si j'étais déjà allé au Punjab et s'il y avait beaucoup de Sikhs en france, si j'étais venu de France exprès pour la célébration etc. Je m'aperçois qu'il est impossible de raconter cette atmosphère, ce lieu et ces gens. Ca dépasse de loin ce que je suis capable de dire. Le dimanche midi, alors qu'on faisait de la vaisselle, le silence est tombé d'un coup sur toute l'esplanade. Fin de la musique, tout le monde s'est tu et s'est levé, les mains jointes. Le recitant a lu les dernières lignes du Livre et a béni l'assemblée. Fin du rassemblablement. En moins de 2 heures, tout le monde était reparti, à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande, en Indonésie, les tables et les chaises pliées, la cuisine démontée, des centaines de mètres carrés de tapis pliés et roulés dans un camion, la place balayée et déserte. Adieux chaleureux et très émouvants avec Satpal et ses potes, on se reverra... Et par-dessus tout l'impression, dimanche soir dans les rues de Melaka, que tout ça n'a pas vraiment existé. Une parenthèse magique et irréelle.
Deuxième révélation : je suis peut-être un Sikh qui s'ignore, mais Papa, si tu m'entends, c'est sans doute ton cas aussi. Essaie de laisser pousser tes cheveux et ta barbe, on en discute à mon retour !

Pour ma dernière journée malakaise j'ai rencontré et été hébergé par une couchsurfeuse chinoise gentille, un peu barrée et complètement alcoolique, qui m'a forcé à boire du mauvais vin australien jusqu'à pas d'heure en me racontant ses histoires de coeur et ses problèmes avec les mecs... C'était rigolo. Comprendre délicieusement ambigu. Et pour ne pas compliquer sa vie déjà frappée du sceau du chaos affectif, j'ai dormi dans la chambre d'amis. Hé hé. Hum... la suite est rapide : j'ai pris un bus, attendu 3 heures dans une gare, pris un autre bus, roulé 14 heures, attendu sur un trottoir pendant 1 heure, pris une mobylette-taxi, attendu, pris un minibus incandescent pendant 4h et puis un taxi, puis attendu sur une jetée en plein soleil pour prendre un bateau-taxi... mais ça y est !! Je suis au paradis : Krabi, Thaïlande. Tonsai Beach, le plus bel endroit au monde après ceux, rares, qui sont plus beaux, et surtout, paradis de l'escalade... Pan ! Et la suite au prochain numéro ; voilà. On reste dans la tendance des précédents : c'est long, je m'étale. A ma décharge, faut reconnaître que pour moi, ça a gagné en intensité, humainement et spirituellement. En densité, aussi. Il fallait le temps de trouver le ton et le rythme... Ça a beau être collectif, je pense à vous tous ; enfin, "à chacun" serait plus exact, en fait. Des hugs et des bises.

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