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mardi 30 décembre 2008

le carnet de voyage (3) - avril à septembre 2007

Semaine 3 – Malaisie – 17 mai 2007

Troisième épisode : la Malaisie, toujours... enfin, je dis ça mais personnellement, je ne m'en lasse pas ! Bon. Je nous avais laissés au temple de Kok Lek Si, à Penang et à sa déesse de la miséricorde. 36,50 mètres de miséricorde, ça laisse une bonne marge de fautes et de faiblesses à se faire pardonner, hein ? J’ai fini mon séjour à Georgetown par un dîner scandaleusement luxueux et copieux avec Krish, mon hôte couchsurfer : bouffe indienne servie sur feuilles de bananier et sans couverts. J’ai donc appris à manger avec les 5 doigts de la main droite et, si possible, seulement les 2 premières phalanges. Ça fait appel à des techniques et des positions qui valent la pratique de n'importe quel instrument de musique. Impressionnant, vraiment. Pour le riz, pour les currys, tandooris et autres, pour découper les naans et le tosai (crêpes de riz) et les tremper dans la sauce sans en foutre partout... toujours avec une seule main... putain d'exercice, surtout pour un gaucher convaincu. Locaux hilares et majorité des touristes qui utilisent tout simplement des couverts, mais ça commence à venir !

Le lendemain matin, bus pour les Cameron Highland, le haut plateau (enfin, pas trop haut quand même, entre 1300 et 1500m d'altitude) couvert de terrasses de thé, de vergers et de strawberry fields (forever?). C'est ici qu'est produite la majorité du thé consommé en Malaisie : ça moutonne et ondoie doucement en vallonnements d'un vert profond et brillant qui tranche avec celui, plus vif et sauvage, de la jungle environnante. C'est ici aussi qu'on peut profiter d'une température douce (20° C), de nuits fraîches et de soirées entre voyageurs. Une petite laine est bienvenue autour du feu de camp, j'ai révisé quelques vieux tubes sur une guitare pourrie et rongée d'humidité, bu un verre de vin rouge californien dégueulasse, trop sucré et qui gouttait à cassis, pour les 23 ans d'une américaine gentille mais hystérique et bruyante ! J'ai pu m'attaquer aux deux gros sommets du secteur : le Gunung machin et le Gunung truc, respectivement 1850 et 2000m, on ne rigole pas ! Le LonelyPlanet parlait de treks harassants « prévoir la journée et un guide, beaucoup d'eau et de la nourriture au cas où etc. ». C'est l'affaire de 2 petites heures, retour compris, sur des sentiers pavés ou casi-goudronnés (cf. les excursions dans la montagne japonaise, dans le même style. Après, on pourra se moquer des Ariégeois rustres et barbus, pff!). Du coup, c'est le moment de vous faire une confidence : il y a un truc un peu fatigant dans la politique touristique en Malaisie : 2007, objectif 20 millions de touristes... c'est ambitieux, c'est lucratif, c'est du développement, okay. Mais ils se sentent un peu obligés de te vendre toutes leurs merveilleuses lanternes, et ils te fourguent pas mal de vessies dans le lot... Autrement dit, les somptueux parcs naturels sont parfois des petits coins de nature assez ordinaires, les sublimes temples, des gymnases années 70 repeints et ornés de statues en plâtre, les musées culturels des entrepôts chargés de batiks au kilomètre et de vrais faux bouddhas d'inspiration birmane en pâte à bois... et le tout, avec une navette dès qu'il y a 100 mètres à faire à pied et un guide diplômé d'état pour que tu ne te perdes pas le long de la plage... pris en charge, pour ne pas dire pris en chasse, tu signes des registres toutes les 20 minutes avec ton nom, numéro de passeport et ton heure d'entrée, puis on te remet pompeusement un "pass" qui te permet de parcourir 20 minutes de sentier en bitume au milieu de cocotiers faméliques pour arriver à une plage déserte sur laquelle se tiennent 8 baraques à frites avec frigo et ventilo. Appelons ça (vous me pardonnerez le calembour à 2 balles), "le cocon malais" : tout pour que le touriste se sente bien enveloppé et conseille à ses amis la destination authentique la plus safe du monde. Moi qui rêvais de turista, de piqûres de requins et de lutte à mort avec des singes à dents de sabre, me voilà tout marri... Le seul élément qu'ils laissent vraiment 100% naturel, c'est les moustiques. Merci!
Cameron Highlands, ce fut aussi une fantastique rencontre avec les fidèles d'un centre Sai-Baba (un truc hindou un peu paroisse-kermesse version ayurvédique, je vous laisse vous informer sur http://www.saibaba.org/) : venu pour une conférence mais arrivé trop tard, j'ai eu le privilège de chanter (!!!) et méditer avec 2 familles d'indiens locaux, puis de partager un curry végétarien fait maison (tout simplement délicieux) avant de discuter une petite heure avec leur adorable, moustachu et prosélyte chef de famille. Très intéressant, très attachant, tout rayonnant de foi et d'amour envers son prochain. On a parlé de cette femme qu'il connaissait, atteinte de leucémie aiguë myéloïde, qui était venue voir le Sai-Baba (docteur prêtre ayurvéda) juste après sa chimio "qui n'avait servi à rien qu'à lui faire perdre ses cheveux, en plus", et le Sai-Baba avait fait disparaître les cellules leucémiques de son sang. Oui, enfin, je veux bien mais si ce n'est pas précisément le boulot de la chimio, ça, d'éliminer les cellules leucémiques circulantes... Si on me prouve que le Sai-Baba est efficace contre les cellules souches, là, je signe tout de suite mais je m'égare dans des réminiscences professionnelles et l'essentiel est ailleurs. C’est que la foi, mon bon monsieur, déplace des montagnes. Sur le chemin du retour (4 kilomètres, hors de question de prendre un teksi), les divinités ont décidé d'entériner la purification de mon esprit d'occidental par la lumineuse doctrine en purifiant aussi... mon corps et mes fringues. Je crois qu'avant ce jour-là, je n'avais jamais connu LA pluie ! J'étais la pluie, j'étais toute l'eau, j'étais le fleuve, j'étais le flamand rose qui ne voit pas ses baskets, perdus dans 8 ou 10 centimètres de boue même au milieu de la chaussée. Douche chaude à l'arrivée, thé local, fourrure polaire et guitare au coin du feu, puis départ le lundi après-midi pour Ipoh.
A propos d'Ipoh, tout le monde m'avait demandé "Ah bon? y'a des trucs à voir là-bas ?". Eh bien, oui. Une petite ville coloniale désuète et ennuyeuse, des shop-houses et des bâtiments anglais néo-classiques blancs qui encadrent un terrain de cricket et un horse-polo country club aux gazons impeccables, des bukits : ces collines calcaires percées de grottes au coeur desquelles se nichent d'improbables temples hindous pleins de tortues et de divinités bienveillantes, et des spécialités culinaires délicieuses, métissées de Chine et de Thaïlande, j'y reviens tout de suite. J'ai été accueilli et hébergé par une couchsurfeuse chinoise, Mei Boh, et sa famille (père, mère et neveu sourd muet : j'ai essayé les 2 mots que je connais en langage des signes espagnol et hélas, non, 'giripollas' y 'ensalada' ne veulent rien dire en langage des signes cantonnais. A la fois, c'était prévisible...). Incroyable expérience, première leçon de cantonnais, bouffe divine, marathon de 24h pour faire le tour d'absolument TOUT ce qui pouvait être vu en ville et dans un rayon de 10 km, le tout en Toyota climatisée, prise en charge à la gare de bus à l'arrivée, dépôt à la gare de bus pour le départ, juste après une séance de réflexologie pieds et jambes dans le centre des voisins thaïlandais. Le ré-alignement des lombaires par une jeune thaï au physique de nageuse est-allemande était en prime, je m'en serais passé mais j'ai tellement bien dormi dans le bus pour KL après ça que me plaindre serait déplacé ! Mei Boh m'a fait goûter les 2 spécialités locales : des nouilles de riz au poulet mariné au soja et le white coffee. LE whote coffee est une invention des englishes, assez réussie au demeurant : les grains de cafés sont torrefiés au sucre de canne et le produit est servi avec un nuage de lait, ça goûte subtilement à caramel et cacao, ça rappelle un peu ce truc qu'on appelle moka par chez nous (jamais su ce que c'était, d'ailleurs). C'est delicieux. Et quand ils servent ça accompagné d'un toast au kaya (sorte de dulce de leche fait avec du lait de coco), je pourrais chanter le god save the queen en slip kangourou sous l'orage tellement c'est fuckement bon!

Voilà pour cette semaine : mercredi 16, je suis de retour à KL. La chaleur et la moiteur d'une aisselle passée à la cocotte minute, des gens pressés qui gueulent, des teksis qui te hèlent, des camelots qui t'agressent pour que tu achètes des montres Polex, des sacs Buitton et du parfum Fior, des aubergistes qui te demandent trop pour des chambres pas assez... en plus, juste devant moi, un couple de backpackers australiens suants, l'oeil torve, se plaignent parce qu'à 25 ringgits la nuit (moins de 5 euros), pour 2 personnes, on ne leur donne qu'UNE serviette de toilette... t'as envie de lui dire que putain, le Hilton est à 300 mètres et la suite à 650 ringgits, que s'il ne peut pas envisager de partager la serviette avec sa conne de copine (qui a l'air VRAIMENT ulcérée par une telle négligence dans le service) une fois dans sa vie, il peut toujours appeler un teksi ! Mais bon, après une douche et un can de soy milk, tout s'arrange, on relativise et on se remet à aimer son prochain.

Tiens, d'ailleurs : retour à KL et amour de son prochain, c'est le prétexte à un petit bilan après 3 semaines. Depuis mon arrivée j'ai rencontré des expatriés, des locaux, des voyageurs... et discuté avec des malais (musulmans, donc), des chinois, des indiens, des expatriés. C'est intéressant de confronter leurs points de vue sur la société malaise, beaucoup plus complexes que prévu... le premier aspect vraiment saillant, c'est que le modèle d'intégration réussi n'est pas si reluisant. Les Chinois, Indiens et Srilankais sont normalement des immigrés de 3ième voire 4ième génération : leurs grands-parents sont nés en Malaisie. On ne les appelle pas Malais pour autant. Ils restent toujours Cinois et Indiens. Le terme "fils du sol", ou Malais, est réservé aux musulmans. Toutes les ethnies vivent dans des quartiers séparés. Ont leurs restaurants, leurs magasins, leurs horaires et leurs corps de métiers. Les musulmans sont seuls à avoir droit à la sécurité sociale, mais ce n'est pas tout. Leurs enfants sont seuls à avoir droit aux bourses secondaires et universitaires, ainsi qu'aux offres de subventions pour la formation à l'étranger. Les femmes qui travaillent dans la police, l'administration, l'enseignement, indépendamment de leur religion, doivent porter le voile pendant le service. L'achat de terres ou d'immobilier donne la priorité, mais surtout, donne des tarifs préférentiels aux Malais. Et il va sans dire que le muezzim appelle à la prière à 5h30 du matin et 5 fois par jour avec un système d'amplification qui aurait fait vomir même les roadies de U2 sur la tournée de War... Ces quelques remarques pour dire à une époque où nous risquons d'en avoir besoin, que démocratie, laïcité et "liberté égalité fraternité" sont des héritages précieux (même si leur réalité est imparfaite), dont on aurait facilement tendance à oublier le prix. Préférence nationale, immigration choisie, ordre et autorité sont des thèmes qui ont plu à 54% d’entre nous, mais quand on voit le résultat sur le terrain, c'est pas tout rose. Fin de la parenthèse.

Voilà. Ce mail ne dépareille pas 2 des précédents... A toutes fins utiles, n'hésitez pas à demander si vous préférez que je vous retire de la liste de diffusion... on peut rester amis quand même, pas de problème. Prenez soin de ceux que vous aimez et de ceux qui vous aiment et à bientôt.

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