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mardi 30 décembre 2008

le carnet de voyage (11) - avril à septembre 2007

Semaines 13 et demi et 14 – Cambodge Thaïlande – 2 août 2007



Sawat Dee krap ! Ca y est, la boucle thai-lao-khmer-thai est bouclée : depuis 3 jours, on est rentrés à Bangkok. Bangkok la moite, Bangkok la nauséabonde, Bangkok la surchauffée, Bangkok la gigantesque, Bangkok l'inhumaine, Bangkok la dingue, mais Bangkok la belle (Bangkok, l'unique objet de mon ressentiment etc...). Ouf. Avec le recul et avec 2 mois d'Asie du sud-est dans les dents, c'est une ville tout ce qu'il y a de plus normale et rassurante. Peut-être pas la paisible bourgade de province à la Flaubert, mais rien de comparable non plus avec le raz-de-marée de sensations et d'émotions qu'on prend dans la gueule en descendant de l'avion la première fois. D'ailleurs, l'arrivée s'est faite en bus cette fois, depuis Siam Reap, après 11 heures de piste défoncée et poussiéreuse puis de route correcte (respectivement avant et après la frontière). 406 petits kilomètres de rien du tout en 11 heures, sous une chaleur torride et dans la touffeur moite des transpirations mêlées de notre bus : une 30aine d'occidentaux puants et avachis. Autant dire qu'on était bien abrutis par le trajet et que plus grand-chose ne pouvait nous faire réagir à la sortie du compartiment.

On a donc retrouvé la marée humaine et le côté un peu 'Babylone' de KaoSan road : les tuktuks, les stands de brochettes et de nouilles, les putes, les touristes, les vendeurs de briquets, de sacs Prada, de lunettes Gucci, les rabatteurs de salles de jeu et de ping-pong shows, les mendiants, les infirmes, les freaks d'ici et d'ailleurs, les toxicos, les obèses rougeauds bourrés à la bière, les vieux pervers aux tempes poivre-et-sel, leur conquète du jour - dangereusement jeune et menue - sous le bras, les échoppes de fruit shakes, les orphelins, les vrais-faux taxis, les rastamen qui vendent tout et surtout n'importe quoi, les artistes de la rue, leur collection de croutes et de scènes sci-fi à l'aérographe sur le trottoir, les cafards de 5cm qui cherchent désespérément à se réfugier dans l'interstice chaud et humide entre les orteils et la sandale, les flics qui règnent sur tout ce petit monde et le rackettent jusqu'à l'indigestion - uniforme impeccable et sourire conquérant. Ghaar ! Ca fait plaisir, on se sent presque de retour à la maison... La deuxième boucle bouclée, c'est celle des vacances de Mercè, aussi : après 2 mois à barouder ensemble, 7/7 et 24/24, je l'ai laissée il y a quelques heures à l'aéroport de Bangkok pour un vol-retour (Egyptair, escale de 6 heures au Caire ; ça s'annonce long et pénible) vers Barcelone et la pile de boulot qui s'est accumulée pendant le voyage... Derniers souvenirs à marchander et à fourrer en force dans son sac a dos, dernier fruit shake, puis derniers pad thai, brochettes de saucisse au riz et mango sticky rice sur les étals autour de KaoSan. Suis rentré de l'aéroport fort tard, à l'heure où ne restent dans les rues que les belles de nuit les plus fanées et les rabatteurs des clubs les moins recommandables. Les yeux baissés sur mes pensés (sans rien voir au dehors sans entendre aucun bruit - comme aurait dit l'autre s'il avait été là), j'ai rasé les murs et me suis couché dans un grand lit vide. Snif. Tu deviens sentimental Antoine, fais gaffe !

Bon, depuis le précédent mail, on pourrait résumer nos aventures comme ça : accompagnés de notre JB (inter-)national en mode 'un français sous les tropiques' - musette sur l'épaule, bronzage confédération paysanne, genoux égratignés et coupe de cheveux façon SangoKu en colère ; accompagnés, par la force des choses, de mes blessures de guerre (suite au contact prolongé et passionnel de la face latérale de mon mollet gauche avec la suface âpre et gravillonneuse d'une piste défoncée, et de la face médiale de mon mollet droit avec un pot d'échappement de Honda Baja porté au rouge, respectivement, je les définirais - mes blessures - comme deux zones de croutelles et squames multifocales extensives superficielles avec ré-éepithélialisation partielle ; elles décrivent un camaïeu intéressant qui va du blanc albinos au rose allemand-en-vacances-sur-la-riviera avec taches et dartres versicolores assez élégants) et accompagnés, enfin, des séquelles de ma turista (joues creuses, maigreur préoccupante et appétit hors du commun), on a quitté Phnom Penh pour Siam Reap et le complexe des temples d'Angkor. Le bus VIP met 5-6 heures pour couvrir la distance, mais pas mal de gens recommandent de laisser la route pour remonter la rivière Tonle Sap jusqu'au lac du même nom - la plus grande réserve d'eau douce d'Asie du sud-est - le traverser dans son plus grand axe (200km) et gagner Siam Reap depuis sa rive orientale. En profitant, ipso facto, de l'un des plus beaux trajets fluviaux imaginables... pour quelques dollars de plus (4 fois la mise quand même), on a donc eu le privilège de s'entasser avec 120 compagnons de fortune dans un rocket-boat : un gros tube en metal rouillé qui rappelle ces cargos de fret d'armateurs grecs qui sillonnent la Méditerrannée et dont la flottabilité ne tient plus qu'aux couches de peinture généreuses et superposées dont on les affuble. Petits hublots en verre fumé opaque, climatisation excessive, un cockpit qui barre la vue à l'avant et un moteur qui monopolise l'espace sonore partout ailleurs. Pour le plus beau paysage fluvial, on s'est un peu sentis floués, j'avoue... 20 minutes après le départ, le sas a été ouvert et on a autorisé tous les courageux qui le souhaitaient à aller s'allonger (vue la vitesse de l'engin, je ne parle même pas de s'asseoir) sur le toit de tôle blanche, sous un soleil à cuire un Australien, au raz d'une eau boueuse serpentant entre rizières, plantations de palmiers, petits villages sur pilotis et collines verdoyantes. D'accord, prompts à râler on s'était plaints un peu vite : le cadre est rigolo, le paysage magnifique et l'ambiance bon-enfant. Et comme toujours dans ces cas-là, un groupe de backpackers anglophones et prévoyants est arrivé avec une palette de bière en canettes et a commencé a se mettre une tête en règle, sous le soleil exactement, gesticulant, braillant et éprouvant leur équilibre sur le toit lisse et glissant d'un supositoire propulsé à une vitesse préoccupante et absolument pas naturelle au-dessus d'un fleuve bourbeux et insalubre pleins d'amoebacées poilues et de monstres goulus. Pas à dire, si j'ai des gosses un jour, je vais plus pouvoir fermer l'oeil, jamais...

Milieu d'après-midi, on arrive au petit village lacustre (pittoresque et tellement photogénique) qui sert de port d'embarcation pour Siam Reap, on traverse un nuage de tuktukers et de rabatteurs de guest-houses super aggressifs, du genre qui t'arrache ton sac à dos du dos, le jette dans son épave et démarre en te laissant juste le temps de sauter dedans aussi sous peine de perdre tout ce que tu possèdes. Une fois qu'il t'a déposé là où il veut, ne comprenant pas l'anglais, il peut librement te demander un prix excessif pour la course et te laisser négocier avec le gérant de la guest-house, qui essaye à son tour de te voler pour récupérer la commission qu'il verse au tuktuk, et t'insulte si tu fais mine de partir. De toutes facons, tu arrives à peine dans un bled inconnu et n'as strictement aucune idée d'où tu te situes... on a donc sauté dans le premier tuktuk qui ne nous a pas harcelés, gagné la guest-house recommandée à Phnom Penh, posé les sacs et on est partis casser une graine au marché du coin, puis louer des vélos (oui madame, parfaitement, des vélos. Pas parce qu'on le voulait mais parce que les touristes n'ont pas le droit - business angkorien oblige - de louer de motos !). De là, on a filé tout droit sur Angkor Wat pour prendre la température...


Je ne veux pas faire plus long, plus hyperbolique ni plus superlatif que d'habitude donc je vais rester sobre. Putain de nom de Dieu de bordel de merde, c'est pas croyable ! Immense, énooorme, sublime, tellement beau et impressionnant etc etc. En fait, je me sens tout simplement incapable de décrire les images d'Angkor Wat ou du Bayon qui se détachent sur le fuschia du jour qui descend. Prière de se reporter à des ouvrages de référence pour des descriptions à la hauteur du spectacle. On est rentrés à la nuit, on a (bien) bouffé et le lendemain assez tôt, on est partis prendre le 'one week pass' et s'attaquer à la bête dans les règles...


Le site des temples est à environ 8km de Siam Reap ; les enceintes des temples font chacune un demi à un kilomètre de côté et les temples sont disséminés entre jungle et rizières, tous les 2, 3, 4 ou 5 kilomètres. Ca veut dire que l'air de rien, on a passé 5 jours genre sur les chemins, à bi-cy-cleeeeeee-tte. Angkor Wat, la cité royale d'Angkor Thom, le Bayon et le Baphuon, le Ta-Phrom, Roluos, Srah Srang, le Mebon et tout plein d'autres dont les noms m'échappent. C'est gigantesque, c'est titanesque, c'est tellement beau. Je vous épargne les habituels 'on se sent si petit, ça force le respect' etc... Mais c'est pourtant vrai. Des dizaines de kilomètres carrés de murs, de colonnes, de galeries, de voûtes, d'escaliers monumentaux, de salles de danse, de cloîtres, de corridors, de stupas, de chambres et d'esplanades en grès massif ou en lathérite, couverts ou non de plâtre, qui - horror vacui oblige - sont entièrement scupltés d'arabesques, de fresques racontant les épisodes mythiques du mahabaratha, de motifs floraux, d'apsaras dansant, de dieux en colère etc... Et comme disait Mercè, à la même époque (800-1100 après JC), nous, on faisait des chapelles romanes, on en était encore aux voûtes en plein cintre et aux gros murs sans fenêtres... bon, c'est pas grave... Autant dire qu'en 5 jours, on n'a pas chômé et qu'on aurait bien passé là quelques semaines de plus.
Mais quelques semaines de plus, j'aurais pas tenu. - - - - A ce sujet, pas mal de voyageurs FONT Angkor en une journée, voire une après-midi. Et déjà les gens qui disent FAIRE un pays ou un site ont le don de m'énerver. ''T'as fait l'Egypte toi ? Ouais, à Pâques, mais 4 jours, ça suffit bien, tu sais'' ; ''Ouais, c'est comme nous, on a fait l'Asie l'an dernier. 3 semaines pour 7 pays, c'est largement assez'' etc... En bus climatisé, ils vont d'un temple à un autre, font la queue 20 minutes pour pouvoir se faire photographier seuls DEVANT la porte célèbre du temple en question, celle que tu vois sur les cartes postales et sur les photos de Google sauf que là, ils ont une preuve qu'ils y étaient : leur gueule de con brûlée au second degré en premier plan, qui cache le plus souvent la porte célèbre du temple en question, d'ailleurs. J'aimerais voir leurs albums : 2 ou 300 cliches de leur pauvre tête avec un fond dont la tonalité et le décor changent selon qu'ils ont fait le Kenya ou la Bolivie. Hum...) - - - -

Ah! que ceux qui n'aiment pas mes attaques de 'je hais l'humanité' ne lisent pas le paragraphe qui suit, tiré du même tonneau que le précédent. parce qu'en fait, ce qu'il faut bien se figurer, c'est qu'Angkor a son revers et que le sublime à son prix... Angkor, c'est aussi la chaleur harassante, les nuées de poussière, nuées de touristes, nuées de marchands en tous genres qui veulent te vendre de l'eau, de la bouffe, du coca, des flutes en bambou, des cartes postales, des tee-shirts, des boules à neige avec les temples dedans, des pin's, des foulards en soie, des kramas, des bijoux, des vieux cailloux, des hiboux, des choux et j'en passe...
Et surtout, Angkor, c'est les gosses. Petits cambodgiens orphelins ou pas, de 4 (si si) à 12 ans, l'air triste et l'oeil mouillé, qui te tombent dessus par groupes de 3 ou 4 ou plus, dès que tu arrives quelque part et te demandent invariablement ''Where you from, sir?'' tu réponds et ils te disent ''France, capital Paris. One dollar sir'' ou ''Spain, capital Madrid. One dollar sir'' ou ''France, ça va bien, comme-ci comme-ça ! One dollar sir'' ou ''Hola que tal amigo ? one dollar sir''. En gros, ils ont appris 20 capitales et comment dire Bonjour en 8 langues, ce qui est en soi assez remarquable, et te demandent un dollar, avec une intonation traînante et un ton geignard, en répétant 'one dollar sir, please gimme one dollar' et en te tirant par la manche sur un demi-kilomètre s'il le faut. Autant dire que le touriste qui passe sa journée en bus climatisé pour chasser les 8 photos de sa bourgeoise devant les 8 temples qu'il FAUT avoir vus, il sort son portefeuille à chaque fois et il demande au gamin de dire une phrase de plus avant de lui donner son dollar. 'Fais le beau, donne la papatte'. Bien joué mon gars! Vas-y que je te fais du renforcement positif, que je t'apprends au gamin que faire le singe savant c'est la meilleure facon de gagner du pognon, et que dans un pays où le salaire moyen est autour de 20-25 dollars par mois, je t'incite la population à survivre de la forme la plus vile et la plus stupide d'exploitation qui soit : la mendicité. Et puis pour la construction sociale et morale, confirmer aux familles qu'un gamin rapporte plus en geignant une heure devant les gros cons d'occidentaux qu'en passant une semaine à l’école le matin et aux champs l'après-midi, c'est un moyen infaillible d'enfoncer le pays dans sa dépendance à une mondialisation idiote et de créer une relation de mépris réciproque entre nous tous...

Mais le clou du désastre, ce sont encore ces parents propres et roses, sûrement altruistes et cathos, férus de droits de l'homme et fans de commerce équitable, qui veulent manger organique et boycotent la perche du Nil depuis qu'ils ont lu le résumé du 'cauchemar de Darwin' dans les pages culture du Figaro, et qui poussent le vice jusqu'à mettre le billet vert dans la main de leur porcelet blond-coupe-au-bol-bermuda-petit-bateau-polo-lacoste pour qu'il le donne lui-même à son semblable, son frère sale et en haillons, avec en prime un sourire compatissant et très certainement sincère. On s'assure ainsi que le schéma séculaire du bon colon généreux va s'imprimer très tôt dans son petit cerveau alimenté au coca-cola light et que Tintin au Congo n'a pas fini d'être réédité dans 10 langues et 50 pays (riches)...

Bon, j'arrête là. Vous imaginez facilement qu'au milieu de ces merveilles, j'ai quand même eu mes crises quotidiennes d'exaspération et de misanthropie écumante ! Merci à JB et Mercè d'avoir supporté mes accès de rage, bave aux lèvres, maugréant courbé sur mon guidon de vélo. On a ceci dit été vraiment fascinés par tout ça et le reste. On a bien bouffé, on a appris quelques trucs sur le bouddhisme, le brahmanisme et l'hindouisme, on a vu des films incroyablement mauvais à la guest-house le soir (Die hard 4, Casino royale et j'ai préféré oublier les autres), discuté avec des khmers, de leur pays, de leur culture, des changements opérés par le tourisme et de ce qu'ils attendaient ou espéraient des années à venir. Pas vraiment réussi à évoquer l'histoire reéente, dont je n'ai pas non plus parlé dans les mails précédents. Je crois que ça fera partie, après digestion, du mail de debriefing au retour...

Voilà. Asie, c'est fini. Je mise mon slip fétiche que j'y retournerai un jour. Et pour l'heure, on entre en phase finale de mes aventures : je décolle pour Delhi demain soir. Le plan de match, c'est de retrouver Bernard - mon ami et acolyte es concerts de jazz hermétique et routes de montagnes improbables - à l'aéroport et de s'envoler ensemble vers Leh, capitale de la province du Ladakh, tout au nord, pour y randonner 3 semaines en compagnie d'un sherpa-cuisinier et de son âne de bat... entre 4500 et 5500m pour l'acclimatation, et la cerise sur le gâteau avant le retour en Europe, si les conditions et notre condition le permettent, c'est un sommet facile à 6100m. inshallah...

Je pense à vous tous et tâcherai de donner des nouvelles de là-bas : je doute qu'il pousse beaucoup de cybercafés à ces altitudes mais bon, on verra bien. Plein de belles choses.

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