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mardi 30 décembre 2008

le carnet de voyage (8) - avril à septembre 2007

Semaine 8 – Thaïlande Laos – 22 juin 2007

Sabai Dii à tous ! (comme tous ici le disent à la moindre occasion, et à propos de n'importe quoi, le lao et le thaï, c'est same same... but different)
Huitième épisode : je glisse sans m'en rendre compte du deuxième au troisième mois de mes errances dans le sud-est asiatique... après 3 semaines, Mercè se porte comme un charme et - jusqu'ici - aucun parasite ni microbe poilu n'a eu raison de notre enthousiasme ! Je lis du mail de la semaine précédente quelque chose qui me laisse songeur : "cette semaine a été folle. Pleine a ras bord. Débordante, trépidante. Belle."... celui qui a écrit ça n'avait pas encore vécu cette huitième semaine, ne savait pas ce que c'est qu'une semaine folle. Pleine à ras bord. Débordante, trépidante. Belle. Moi je le sais, je viens d'en vivre une ! Je vous ai laissés à Pai, village hippie poussiéreux du nord de la Thaïlande, avec ma fière et puissante moto etc... juste après avoir posté le mail, on part pour Soppong avec la fière et puissante moto, qui, de virage en virage et de côte en côte, est de moins en moins fière et plus très puissante. En dessous de 5000 rpm, elle n'a rien à offrir et au dessus, pas grand-chose à part un bruit qui donne envie de pleurer et l'aiguille du thermo au grimpe en flèche. Quand elle cale finalement en première à 30 à l'heure dans une petite montée, on lâche l'affaire et penauds, la queue entre les jambes, on fait demi-tour et la lance dans la descente vers Pai... où aucun mécano ne veut y toucher (pas plus de 125cm3, Sahib, on sait pas faire). Le loueur de ChiangMai propose qu'on la lui ramène au plus vite et c'est ce qu'on fait. En 2 heures de temps, l'affaire est faite, les sacs bouclés et on a lancé la bête molle sur les 140km de virages serrés. A la vitesse où on roule, pas de danger !

En revanche, la saison des pluies fait une entrée impromptue et très remarquée dans l'après-midi et on doit faire des pauses de 40 minutes tous les 8 km pour s'abriter du déluge. Ça nous permet de faire le plein de lait de soja dans la gargotte de chaque village et de rencontrer un vieux, tellement vieux et tellement content de nous voir là, assis à sa table, qu'il commence à nous parler thai en souriant de toute sa bouche édentée. Il répète folong en montrant le ciel et en se marrant jusqu'à ce que (vous me pardonnerez la self-satisfaction) l'idée me vienne de prendre une feuille propre de mon moleskine pour lui dessiner, façon météo, un gros nuage joufflu, des cordes de pluie et un bonhomme trempé. J'écris "folong" à côté et lui tend le papier en disant folong. Il nous sourit comme jamais on ne m'a souri en 28 ans et se met à prendre papier et stylo pour dessiner une rue avec une moto, une maison et une table, le soleil, des voitures etc. et à énumerer et répéter le nom de chacune de toutes ces choses pour qu'on puisse le noter à côté. Chaque mot grignotte sur notre ignorance, nous rend tous les trois euphoriques et ça devient une sorte de pictionnary improvisé où on dessine chacun son tour un truc, qu'il doit reconnaître pour nous dire le nom : téléphone, bambou, camion (non David, on ne lui a pas fait pouet-pouet)... la pluie s'arrête et on repart, en lui laissant la moitié de cette brêche creusée dans la barrière des langues. Oui enfin bon, faut pas exagerer non plus :)

En vitesse : on arrive péniblement à ChiangMai avec la nuit, on décide de partir le lendemain matin pour Sukhothai et on boucle les sacs. Douche, padthai et mango sticky rice, nuit réparatrice et hop! 6 heures de bus escargot sous une chaleur harassante pour arriver, après avoir laissé les sacs à la guesthouse et loué un scooter, au complexe de temples avec le coucher du soleil. C'est comme une primo-injection pour Angkor Wat, la foule des touristes en moins : des bouddhas gigantesques dans un labyrinthe de ruines et de colonnes, de stupas et de bots en pierre sculptée, surchargés de frises et de gravures, tous plus vieux et rongés de pluie et magnifiques les uns que les autres. Malgré les quelques nuages, le ciel rose s'enflamme et se reflète sur les lacs couverts de lotus en fleur. C'est à pleurer. Comme on est perdus dans les kilomètres de piste du site, un gars nous prend dans son pick-up pour arriver au grand bouddha avec le dernier rayon de soleil et on rentre à pied avec la nuit. Quelques statues sont éclairées et on profite de la chaleur accumulée des pierres avec les chiens errants qui vivent là : les moines bouddhistes les nourrissent et les accueillent dans tous les temples par ici. Retour à la guesthouse, dîner décevant (le seul à ce jour) au marché local et coucher tôt pour un lever à 5 heures : tout dort à la ronde, on saute sur le scooter et on retourne au temple tout vaseux pour le lever du soleil. Les dalles de pierre sont toujours tièdes et les chiens toujours avachis, on aurait pu rester là avec eux, non ? Personne à la ronde jusqu'a 7h et demie mais des nuages qui nimbent l'horizon.

On saute ensuite dans un bus pour SriSatchnalai, autre complexe same same but different à une heure de là. Même topo pour le coucher du soleil, sauf que j'étais décidé à passer la nuit à la belle étoile sous la moustiquaire et que l'orage qui gronde nous fait entendre raison : on loue 2 vélos et une tente au bureau du parc et après une soupe de nouilles vite avalée on va s'allonger, crevés, sous la nuit et la pluie... Le lendemain matin, 5h, lever de soleil sur les bouddhas en ruines, Mercè peint un peu et on saute dans le bus de 7h40 pour filer vers la frontière lao. Encore une journee de bus surchauffé et escargotesque, dans des paysages de collines, de vallées, de rizières et de forêts hallucinants. On passe la nuit à ChiangKong, avec poulet coco, sticky rice, vue sur le Mékong et sur le Laos, inaccessible pour ce soir.
Nuit fraîche et lever matinal (serais-je en train de m'habituer ? pire, de prendre goût au réveil qui sonne à 5 heures du mat' ? tant que c'est pas pour aller bosser, au fond...) pour prendre un long-tail boat qui, au raz de l'eau boueuse et spumante (allez, on laisse passer celui-là), traverse mollement LE fleuve pour nous conduire au bureau de l'immigration. Ambiance austère et uniformes impeccables, visa payable en dolllllas et rubis sur l'ongle, on se fait tamponner le passeport et on entre comme en religion en république démocratique populaire lao. Mon premier (et l'un des tout derniers) pays communiste ! En plus, après un bref passage au bureau de change local je me trouve, pour moins de 50 euros, millionnaire en khips lao ! Hé hé hé. Ça s'arrose. Par un café local : après 2 mois de nescafé dégueu noyé de lait condensé, que j'avais fini par aimer, le robusta lao est un plaisir difficile à coucher par écrit. Ça sent, ça goûte, ça brûle un peu, ça se respire et ça amère tout la bouche. Petit déjeuner magique au bord du fleuve qu'on ne quittera plus pendant 20 heures. Enfin, c'est lui qui ne nous quittera plus. Le slowboat qui nous mène à Luang Prabang met 2 jours pour atteindre son port et on nous lâche à Pakbeng pour la nuit. Pension bon marché et sympathique, restau indien (orgie de naans), vendeurs d'opium et de ganja locale tous les 10 mètres, dans un village de huttes en bois et bambous autour d'une rue en terre dont l'éclairage s'éteint à 9heures et dont l'unique marché n'a jamais vu un contrôleur sanitaire. L'atmosphère est très différente de la Thaïlande pourtant proche : plus calme, plus reposée. Le lonely planet, qui dit quand même son lot de conneries, rapporte un proverbe à propos du Laos : "les Vietnamiens font pousser le riz, les Cambodgiens le regardent, mais les Laos l'écoutent". Et je vous promets que ça prend du sens dans un village comme celui-ci ! Tellement qu'on ne part pas le lendemain avec notre troupeau de co-touristes et qu'on s'offre un jour à écouter pousser le riz :) la vie locale change du tout au tout en dehors des heures d'arrivée-départ des bateaux. Chacun vaque, troque, vend bricole mais les falang (les occidentaux. Le mot peut être aussi bien affectueux que très péjoratif) ont disparu. Du coup, on nous parle et on est même invités pour une partie de pétanque. Un novice du temple du coin, Lai, nous fait la causette en anglais pendant une paire d'heures, nous explique son quotidien de novice et les 10 règles qu'il doit suivre. Facile par rapport aux moines qui en ont 227 ! On mange avec lui au temple et on part voir le fleuve, peindre un peu puis dîner chez un gars rencontré hier, qui parle français et dont le restaurant s'appelle "Mr Savalai restaurant : good lao food good conversation. Come try and you understand why i married my wife". sic. On mange du buffalo au lait de coco, je suis obligé d'arrêter de taper pour avaler les fils de salive qui coulent sur le clavier rien qu'à évoquer son buffle au lait de coco. Et autre chose aussi, dont je ne me souviens plus, délicieux pourtant, puis LE meilleur mango sticky rice du monde en dessert. Sachez qu'à mon retour en Europe, vous allez en bouffer du mango sticky rice, jusqu'à ce que je sache le faire aussi bon qu'ici !! En digestif on grignotte avec lui des bouts de champignons qu'il trempe dans des sortes d'herbes de provence hachées très fin et qu'il sort d'une poche en plastique douteuse. Ca le met dans un état de léthargie béate qui fait plaisir à voir, mais ou bien il a pris autre chose avant, ou bien on est réfractaires à cette drogue : ça ne nous fait rien du tout et on rentre à la guesthouse pour trouver nos voisins anglais attablés autour d'un joint qui sent la menthe, la coriandre et le jasmin : lao locale, de l'orfèvrerie, de la musique pour le poumon. Passons...

Une nuit paisible et un lever matinal, petit déj' au café local et beignets de bananes, slow boat pour une heure et demie, puisqu'au lieu de filer jusqu'a Luang Prabang direct, on a décidé de s'arrêter à TahSuang, petit village et porte d'entrée de la vallée de Hongsa. C'est l'émeute quand on descend du bateau ici : dans le coin, il n'en vient pas tous les jours, des falang (on a appris depuis que falang, en lao et en thai, c'est la patate, et on se marre avec Mercè, en criant pataaaaatas chaque fois qu'un lao hilare nous traite de falang et nous montre du doigt). On mange la soupe de nouille que nous sert la patronne de l'unique gargotte (une pour les 6 huttes), sans réelle envie et sans réel plaisir. Pas d'eau courante ici. L'électricité vient de petites turbines sur le cours de la rivière et il n'y a rien d'autre que de la poussière, des chiens et des enfants qui jouent avec une petite voiture. Putain, on dirait une chanson de Cabrel ce que je raconte ! On débarque vers 11h et on attend le "bus local", un pick-up avec deux planches en bois à l'arrière, qui doit partir à 13, euh non, 16, euh non, 17 heures. Je m'énerve un peu parce que les lao paient tous 10.000 kips pour le trajet et qu'il nous demande 30.000 chacun et puis, bon, on est de patates, c'est normal. 25km et une heure et demie plus tard, on a grimpé un sentier de terre défoncé d'ornières et de coulées de boue, qui serpente entre un flanc de montagne taillé à la dynamite et un à-pic dont je préfère ne pas parler pour ne pas risquer de m'en souvenir. On a passé un col et piqué sur une vallée de rizières, de bananiers et de bambous, cabanes en bambous sur pilotis, buffles paissant et soleil couchant. Hongsa.

Les locaux nous regardent bizarrement et murmurent falang en se marrant. On dirait qu'ils ont peur, des fois. Ou qu'ils regardent la télé. Fascinés, ils sont. Quand on sort les baguettes de notre sac pour manger la soupe de nouilles (impossible de se faire servir autre chose pendant les 2 jours, même quand on demande du khao, des maak khuay etc... (riz, bananes, rien d'extraordinaire pourtant), on se retrouve invariablement devant un grand bol de soupe de nouilles), quand on met du pschit pour les moustiques, quand on demande pour louer des vélos, quand on demande pour une brique de lait de soja... Quand on parle anglais, ils se marrent parce qu'ils ne comprennent pas. Quand on parle lao (enfin, quand on essaie), ils se marrent parce que des patates qui parlent lao, ça doit être une chose à peu près aussi drôle que Coluche qui fait le sketch du shimilii- du schimbiliiii- du schimib-. Il y a 16 voyelles dans l'alphabet lao et toutes pourraient se traduite par 'ao' ou 'ai'. Je vous laisse imaginer le résultat quand on demande "ola aubergiste ! aurais-tu l'amabilité de me faire goûter ta spécialité ? Et porte donc le picotin à mon vélo, il est fourbu". Si je tenais le demeuré qui a fait la page conversation du lonely planet, je lui ferais bien bouffer mes baguettes !

Après 2 jours de ça, et d'émerveillement permanent, et de vaines tentatives pour communiquer, on a pris ce matin le 'bus' en sens inverse. Cette fois-ci, on était 21 sur le plateau du pick-up avec plusieurs sacs de riz et des poules. Convivial. Intime. Et aussi effrayant qu'à l'aller. De là, on a sauté dans le slow boat et descendu le Mékong : un interminable et paresseux tapis de boue, de remous et de rapides mousseux, tendus entre des berges de jungle, de brulis, de huttes perdues, d'enfants maigres et de buffles ventrus qui se baignent, de couples improbables de lao brûlés par quelques heures d'attente sous le soleil de l'apres-midi, qui balancent un bras ou un bout de chemise sur le ciel pour que le bateau, mollement, vienne planter son nez dans le sable et les laisse monter. Ca dure des heures, les bancs en bois sont un supplice pour les fesses et la chaleur est infernale. Mais le paysage de plus en plus escarpé : de falaises et de villages, de soleil qui descend en affluents tourbillonneux... on vient d'arriver à Luang Prabang, deuxième ville du pays et premier contact avec une urbs lao pour nous. Ambiance coloniale et très paisible, soleil couchant, du français qui chante à tous les coins de rue et un mango shake glacé en descendant du bateau : j'aime la nature mais un petit brin de ville une fois par semaine, c'est appréciable.
La suite au prochain numéro... on vous embrasse tous, avec des pensées et des bises très spéciales pour la famille en ces jours de douleur et de recueillement. Vous nous manquez !

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