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mardi 30 décembre 2008

le carnet de voyage (9) - avril à septembre 2007

Semaines 9 et 10 – Laos – 5 juillet 2007

Sabaidii ! Neuvième et dixième épisodes : avec le rythme de vie lao et les aléas du voyage, trouver un ordinateur connecté et une heure pour s'y poser n'est pas si facile... bon, ça vous a permis de souffler une petite semaine ;) back dans les bacs, je vais essayer de pas faire 2 fois plus long.

On est arrivés à Luang Prabang un vendredi soir, si je me souviens bien. Ville tranquille, très jolie (patrimoine mondial UNESCO oblige, c'est propret. Un peu trop à la longue mais très beau et très agréable), très verte et assez village modèle, catégorie 3 fleurs au top ten des villages fleuris. Pour un peu, on se croirait à Souillac ou aux Baux-de-Provence. Avec ce côté refait pour le touriste. Petites rues et jolies maisonnettes pimpantes, bananiers et palmiers, échoppes d'artisanat au kilomètre, avec de vrais artisans qui font de vrais paniers-tapis-lampes-en-fer-forgé sous tes yeux, collines vertes avec petit temple au sommet, pont suspendu à la (de?) Gustave Eiffel et marché de nuit tellement mignon avec tout plein de chichis tellement mignons pour ramener a la famille et aux amis... Ah ah ah, d'ailleurs, vous allez en prendre pour votre grade au retour, du souvenir de Luang Prabang, de la lampe en fer forgé et du panier en bambou tressé ! Une caisse expédiée par bateau, qu'on a remplie d'artisanat typique pour la famille et les amis. Ah ça ! Vous pourrez pas dire qu'on vous avait pas prévenus ! Et puis bien sur, à Luang Prabang, il y a ce Mékong qui s'écoule encore et toujours plus mollement : majestueux et boueux, fier et paresseux. Un mélange de bonne santé insolente et de saleté altière, intrinsèquement insalubre et scandaleusement vivant, qui m'évoque un verrat de concours primé au salon de l'agriculture. Je sais pas si l'image est très parlante ? Enfin bon, le Mékong quoi...

Luang Prabang nous a pris dans ses filets et on est restés là une semaine. Sans la voir presque passer. Au rythme des tuktuk et des vélos, des fruit shake et des novices bouddhistes qui traversent les rues le nez en l'air : à tutoyer le ciel et à chercher les fils tissés de la maya, ils en oublient de regarder à droite puis à gauche. On en a vu un se faire mettre au tapis par une mobylette, entre chien et loup, proprement. Spectacle bouleversant. Pourtant avec sa robe orange, on ne peut pas dire qu'il ne soit pas visible au milieu d'un carrefour. Je vous jure m'sieur l'agent, j'l'ai pris pour un plot de circulation! Troublant comme la police a mis 15 minutes à arriver, comme les premiers badauds l'ont immédiatement relevé (PLS, ca vous parle les gars?), comme personne n'a appelé d'ambulance (alerter, ça vous parle les gars?), comme personne n'a tenté de sécuriser le site (etc...), comme on a miraculeusement échappé à une demi-douzaine de sur-accidents... Tout ça nous a laissés perplexes. Le novice est reparti en claudiquant, un peu groggy mais vivant. S'il a saigné du nez ou vomi plus tard dans la nuit, en tout cas, personne ne l'a su. Et puis si c)’était grave, il lui reste toujours la réincarnation, hein... bon, passons...
On a vu aussi des temples fort beaux, des grottes fort moches et des attrape-touristes fort fourbis et fournis. Fort achalandés en touristes désireux de se faire attraper aussi. On a loué de bien beaux VTT et on s'est tapé 30 bornes de montées-descentes pour aller voir une belle cascade. Et autant de bornes, de montées et de descentes au retour, naturellement.
Voila en substance le contenu de la semaine. Très paisible. Ah non ! bien sur, j'oublie : le premier samedi soir, on s'est fait inviter à un mariage lao. Gymnase municipal, des tables et une piste de danse, un groupe de musicos (1 clavier et 2 chanteuses, adolescents facon pop-acidulée-cheveux-sculptés-au-gel-extra-fort), un buffet de curries délicieux, 2 ou 300 personnes et un jeune pote du marié qui nous a fait entrer avec lui. Il ne connaissait pas grand-monde et était content de se poser et de discuter avec nous. On était ravis d'entrer et de découvrir ça. Il s'est fait un devoir de nous bourrer la gueule à la BeerLao (pas terrible, d'ailleurs) et je crois qu'on a gagné. France-Espagne 1 : Laos 0 ! Après quelques litres, il n'était pas fier en nous tirant sa révérence et on est partis danser avec les plus intrépides du canton. Je ne m'attarde pas sur la danse de mariage lao, c'est un peu comme la danse traditionnelle de tokushima pour ceux qui ont eu droit aux aventures japonaises. Pour les autres, en résumé : un peu comme une sorte de branle charentais ou de menuet mais interprété par des mafieux alcoolisés sortis d'un film de Kitano (Sonatine, pour ceux qui veulent se faire une idée plus précise). On a bien ri, ils ont bien ri et on est partis au lit avec les cheveux qui poussaient vers l'intérieur. Et un lendemain de veille (amis québécois, si vous me lisez, vive le Québec libre!) assez sévère le dimanche.
On a rencontré Pierre, aussi. Un Français très sympa, agronome, animateur social, érudit, atrabilaire, 37ans, passionnant. De CDD en ONG, il a baroudé en Afrique et en Asie ces 12 dernières années. Là, il est sur la fin de 2 ans et demi dans l'Himalaya, du Pakistan au Tibet, à pied, et cherchait un coin où passer la mousson avant de repartir. Objectif : rentrer en france à pied via Pakistan, Afghanistan et Iran, Turquie etc... dangereusement intéressant et cultivé, le bougre. On en a appris plus en une semaine sur le bouddhisme, teravada et mahayana, la vie secrète de Jésus en Asie et son pélerinage avec Thomas, la littérature anglo-coloniale, l'art de choisir, de juger et de marchander de la soie, et les rites liés à l'opium dans les tribus du Pakistan... qu'en quelques années de fac, je crois. Au bout de 3 jours à passer 24h sur 24 avec lui, ou presque, j'ai commencé à m'inquiéter un peu devant l'expression de Mercè : très concentrée, suspendue à ses lèvres, bouche bée et les yeux ronds, à l'écouter religieusement. Jaloux moi ? Nooooon... et puis j'ai compris (soupir de soulagement) : ce n'était pas l'expression d'un amour fou et inconditionnel, d’un amour éternel en un instant conçu. C'était juste qu'entre son accent parisien-normand-de-montpellier et son débit ultra-rapide, elle ne comprenait pratiquement rien de ce qu'il nous racontait. Hé hé hé, ce qu'on peut s'imaginer des fois...

On a finalement pris un bus pour VangVieng, un vendredi à 13h... euh non, 16h… euh non, 17h… pour arriver vers 18h... euh non, minuit. Un village assez moche, pour tout dire. Dans un environnement de rêve avec des falaises calcaires qui feraient passer la silhouette de montserrat pour une grosse termitière (pardon, pardon). C'est célèbre dans le milieu des backpackers (un jour il faudra que je vous dise ce que j'en pense de mes frères les backpackers, parce qu'en 2 mois et quelques, rien que le mot me fait saigner du nez et sortir des plaques d'érythème des chevilles jusqu'au cou. Et je ne vous parle pas du scrotum). C'est donc un spot célèbre pour 2 raisons : parce que le village est plein de TV bars : des rues entières de bars avec des TV qui passent en boucle et à fond des épisodes des Simpsons, de Friends et de blockbusters de merde (300, Batman begins, Serial noceurs et Spiderman3, entre autres.) TOUTE la journée et TOUTE la nuit. Le volume est à fond et ça donne, depuis la rue, une mouture sonore qui n'est pas sans rappeler la fête de la musique rue Parga à Toulouse. Je ne parle même pas du raffut DANS les bars, parce que l'idée d'y mettre les pieds ne nous a pas effleurés... et l'autre motif de l'engouement sans égal que suscite VangVieng, c'est que là-bas, on met de la beuh dans tout ce qui se mange ou se boit ! Dans le menu, pour quelques kips de plus, tu peux avoir le même plat mais en "special", en "happy" ou en "funky". Ca veut dire avec de la beuh ou du shit ou du beurre de marrakech en prime. La dose, apparemment, c'est selon l'humeur du patron. Et ça donne des choses exotiques comme le special pain à l'ail ou le funky fruit shake ou la légendaire happy pizza calzone... édifiant : une des destinations préférées des globe-trotters au Laos, c'est un résumé pathétiaue du monde occidental : tu te défonces entre potes anglophones devant une télé abrutissante ! Bon, on va me traiter de vieux grincheux alors je passe à la suite...

On a visité de vraies grottes, incroyablement profondes, sombres et désertes. Incroyablement glissantes, humides et angoissantes aussi : "tiens, on est pas déjà passés là il y a une heure ? t'occupes et avances, tu vois bien que la lampe frontale commence à faiblir, et d'après ma boussole il est déjà 9 heures du soir, le soleil est déjà couché et l'eau monte de plus en plus, il doit pleuvoir sérieusement dehors. J'ai faim. Chut, suce un caillou et avance, ça va passer. J'ai peur. Chut, mange de la glaise, ça rend apathique. J'ai froid. Chut, sautille sur place et appuie sur tes yeux"... c'était trop cooooooooool ! Et on a visité une grotte avec rivière souterraine incluse, sur des chambres à air de tracteur, avec de vrais morceaux de courant et de stalactites. Et on a pris la pluie en moto sur une piste de terre au milieu de kilomètres de rizières, et j'ai découvert que pour noyer un moteur de moto, il fallait vraiment plus d'eau que ce que je pensais, et j'ai découvert aussi que si la boue réduit dangeureusement l'adhérence, il ne faut pas paniquer ; juste être patient : au-delà de 15 centimètres d'eau, en fait, c'est la notion même d'adhérence qui devient désuette. L'effet gyroscopique et les tourbillons créés par la chaine te stabilisent comme une sorte de quille de bateau, et il suffit de tendre un bras sur le côté pour prendre les virages. Et hop! Roule ma poule! Bon, rapidement quand même, on en a eu marre des happy-touristes et des special-arnaques pour happy-touristes, alors on s'est barrés à Vientiane. Pas de bus disponible, on a donc fait en pickup le trajet hallucinant jusqu'a Vientiane : des falaises et des collines et des paysages de montagne qui m'ont rappelé le Béarn. Avec des bananiers à la place des moutons, et des cabanes sur pilotis en bambou à la place des orris en pierre. Mais sinon, pareil. Same same but different en somme...

Et puis depuis 2 jours, on est à Vientiane. Capitale du Laos et chef-lieu d'une de ces vieilles provinces de l'Indochine de la grande époque (on imagine Marguerite Duras qui longtemps s'est couchée de bonne heure, enfin bon, c'était peut-être hier je ne sais plus...). Des relents de colonialisme désuet, une architecture poussiéreuse et décadente, des avenues avec contr'allées bordées de palmiers et bananiers tout à fait délicieuses et quelques temples qui valent le coup d'oeil. L'impression que le temps s'est arrêté ici, comme dans ce western d'Alessandro Barricco (in City : le trésor était caché dans l'horloge, mais chut, ils ne le découvrent qu'à la fin). On croise à chaque coin de rue des vieillards édentés qui parlent un français non seulement parfait mais surtout précieux et suranné. Digne des vieux d'Afrique occidentale. Accent traînant et phrases longues, ils évoquent avec fierté et nostalgie le certificat d'études qu'ils ont passé avec mérite - académie de Montpellier, le même jour qu'en métropôle, qu'ils nous racontent - et les cours de culture lao dispensés par les maîtres d'école d'alors... ensuite ? La révolution et le retour à la langue lao, le poids du régime, la modernisation et les gens qui deviennent fous : la vitesse, l'argent, le stress... on est pourtant loin des rues de Paris ou même de Bangkok, mais ici, on écoute pousser le riz, souvenez-vous. On s'offre 2 jours de plus à flaner en ville, le long du fleuve, le nez en l'air et la main sur le nez (poussière oblige). Puis on met le cap sur le plein sud du Laos, plateaux de plantations de café et forêts primaires, pour entrer au Cambodge. Pour retrouver encore une fois ce Mékong qui ne nous lache pas. Qui grossit de jour en jour, de kilomètre en kilomètre, de pluie en pluie. Dont on tombe amoureux et dont on ne peut, de toutes façons, se débarrasser. Qu'on aime et qu'on subit, qu'on ne se lasse pas de regarder couler, jusqu'à la nausée, et qui coule toujours : boueux, indolent, impassible. Qui nous tape sur le système à la longue. J'ai lu "au coeur des ténèbres" juste avant le départ, et je n'aurais pas pu mieux comprendre Conrad que maintenant, je crois...
Allez, j'arrête là, il est tard pour nous et vous, il y a surement mieux à faire ! On vous embrasse tous. Plein de belles choses…

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