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mardi 30 décembre 2008

le carnet de voyage (2) - avril à septembre 2007

Semaine 2 – Malaisie – 10 mai 2007
Deuxième épisode : en Malaisie, toujours... On en était restés à la fin du climbing-trip à Bukit Keteri. Retour en Mercedes, la grande classe, tout le confort possible ou presque, et une arrivée en douceur le mercredi soir vers 18h à la gare de KL. Seule ombre au tableau, ce genou qui me fait mal et pas vraiment de plan B pour m'occuper sans me dépenser. Je ramasse donc mes sacs, erre dans Chinatown une dizaine de minutes et entre dans une auberge de backpackers recommandée par le LonelyPlanet. La nana est souriante, il y a des chambres, une consigne à bagages et... consigne à bagages... il m’a fallu 3 minutes pour prendre la décision. J'ai laissé mes affaires (sac encombrant et lourd avec tout dedans) sauf 2 tee-shirts et le minimum vital : tapis de sol et moustiquaire, drap, maillot, trousse de toilette... et ai filé à la gare routière. Un bus de nuit à 22h pour Kota Bahru, à l'autre bout du pays et en avant ! Lendemain matin, 6 heures, je finis par trouver deux anglais qui cherchent à partager un taxi pour la gare des ferries. On part donc ensemble, on saute dans le premier ferry et vers 11h du matin on est aux îles de Perhentian, les pieds dans le sable, face à un mec qui veut nous louer des bungalows pour 30 ringgits par jour - 6euros. vendu !

Perhentian, c'est un peu le paradis sur terre : petite île, eau transparente, sable blanc et blocs de granite, coraux et poissons, quelques cabanes en bois complètement décaties entre le sable et la jungle. Des cocotiers, des routards et des plongeurs. Des barbecues sur la plage tous les soirs, du barracuda, du requin, du marlin... Mon cabanon sur pilotis en planches disjointes héberge une famille de geckos gris à pois rouges sous la tôle ondulée du toit, j'ai pendu ma moustiquaire juste à l'endroit où ils ont l'habitude de venir chier et suspendu mon sac a dos à une poutre pour l'isoler de mes divers colocataires à 6, 8 ou 1000 pattes. C'est le pied. La salle de bain, commune, se compose de 4 grands panneaux de tole (il y fait rarement moins de 40 degrés) pas jointifs, dont l'un est mobile (la porte) et d'un tuyau en PVC qui amène directement, via un robinet type cubitainer et sans pomme (à quoi ça sert, hein ?) l'eau d'une citerne à pluie. Donc avant la douche, on sent la sueur et après la douche, le croupi. Mais c'est cool. Comme la chiotte est là aussi, dans le mètre carré de la douche, on nettoie la cuvette en se lavant, et on fait sa toilette intime dans la foulée... astucieux, non ?

Premier jour, découverte de l'île et de ses hôtes : des hippies, des varans aquatiques absolument pacifiques mais putain, j'ai croisé le premier après 40 minutes environ, à quelques mètres de la salle de bain et il mesurait plus de 2 mètres, j'ai fait un bond qui l'a littéralement stupéfié. Il m'a regardé avec l'air du mec qui comprend vraiment pas pourquoi pas on se met dans des états pareils et s’en est allé en soupirant. Pour être honnête, ma première idée a été quelque chose comme 'ça ne peut PAS être un VRAI varan sauvage ; il faut que ce soit la mascotte du bar d'à côté, ou quelque chose comme ça''. Mais non. J'en ai croisé une dizaine dans l'heure suivante. Ils sont gentils, quoique peu enclins au bavardage.Le lendemain, sortie snorkeling organisée avec un groupe d’inconnus, une dizaine, dont 5 Français. Tant pis. Notamment 2 meufs 'gentilles' (dans ce que cet adjectif peut avoir de plus négatif, hélas), qui « travaillaient dans la mode ». Dieux du ciel. « Non, moi s’tu veux, je travaille dans la mode, tu vois » (ah, et pour la connerie, tu travailles dans la profondeur, non ?) Comprenez qu’elles étaient vendeuse et caissière chez Vuitton à Bruxelles et chez Dior à Paris, respectivement. Des BO-BE, en quelque sorte, bourgeoises bé-bêtes. Mais passons, il y avait plus intéressant. On a tous nagé avec des méduses, pour commencer et se mettre en jambes. Le guide se marrait en nous filant du jus de citron, ça apaise, parait-il (mon cul, ça n'apaise rien du tout). Et puis, miracle, le dieu du tuba a tendu vers nous une palme compatissante : j'ai nagé une minute juste au-dessus d'une tortue énoooorme, à effleurer sa carapace sans oser ni vouloir la déranger plus, complètement fasciné par ce moment absolument magique... puis on a vu des coraux et des poissons magnifiques et sublimes et de toutes les tailles et toutes les couleurs imaginables. Ne me demandez pas les noms, je n'en ai pas la moindre idée. Puis le guide nous a emmenés voir des bébés requins, et on n'en a pas vu un seul. Jusqu’à ce qu’il nous gueule un truc, et qu’en s’approchant et on tombe sur le couple de parents : 2 reef sharks (pas méchants) de 2,5m à peu près. Nom de Dieu de nom de Dieu de sensation grisante d'excitation et de peur panique mêlées. J'en ai mordu mon tuba si fort que je pense qu'il s'en souvient encore. Parce qu'enfin, je dis 'pas méchants' mais dans l'eau et à quelques mètres de distance, ça ressemble quand même comme 2 gouttes d'eau à un requin méchant. La seule différence c'est qu'ils n'attaquent pas l'homme, un moyen infaillible de faire la diagnose. Coooooool ! Le reste de l'île ne mérite pas qu'on s'y attarde, villages de pêcheurs jolis et ignorés par les touristes, collines couvertes de jungle ignorées par les touristes, criques désertes ignorées par les touristes… Le paradis terrestre a rapidement commencé à m'emmerder.
C'est Jean-Claude Lavie, il me semble, dans son bouquin pour lequel j'ai du vous bassiner et rebassiner (L'amour est un crime parfait), qui corrigeait avec beaucoup d'intelligence la phrase de Sartre. L'enfer, qu'il dit, ce n'est pas les autres. L’enfer, c'est d'être seul au milieu des autres. Et comme il a raison. Le paradis seul ? Jamais. Plutôt l'enfer avec quelques potes et une bonne bouteille de Laphroaig. Heureusement, je n'étais pas tout à fait seul. Ma voisine de bungalow taudis s'est prise d'affection pour moi : Polonaise, post-hippie mystico-folle et quinquagénaire, opulente, généreuse et venue 'en célibataire' (en français dans le texte) ; on a pas mal trainé ensemble. Elle avait mal aux bronches, j'avais de l'ibuprofène ; elle avait la fièvre, j'avais du paracétamol, elle cassait ses lunettes, j’avais un petit tournevis etc. Elle était venue ici en 87, et à Phuket en 89, et c'était quand même mieux alors. Son premier mari était chirurgien et l'avait poussée à arrêter l'enseignement pour ouvrir un centre de théâtro-thérapie pour enfants sauvages en Pologne. La suppression des subventions du gouvernement l'avait obligée à plier boutique après seulement 5 ans... Elle était donc entrée à l'UNESCO comme coordinatrice de projets pour l'enfance et la culture en zone sud-est asiatique. Après 9 ans passés entre le Laos, la Thaïlande, les Philippines et la Malaisie, elle avait jeté l'éponge et vivait pour elle, d'île en île, avec ses palmes et son tuba. Incroyable. Des heures à l'écouter raconter sa vie étonnante et celle, plus rangée, de sa fille, qu'elle voulait absolument que j'aille rencontrer à Oslo : ''she's afraid with life, you know. she don't want fight. You know she not struggle and not opposition. she need man strong personnality, you know. confront. that I say to her all time. you should go meet ; you know. really.'' etc etc... Et puis bien sûr, que c'était mieux avant, que les gens deviennent bêtes et n'ont plus aucune initiative, aucun sens critique, que la télé leur mange la cervelle... fantastique... des heures de bonheur à chier sur ce monde pourri, le cul dans le sable blanc d’une des plages les plus belles de la planète... hé hé hé. Je vous jure, faut pas avoir honte !

Mais au bout d'un moment, l'île, ça allait bien. Le dimanche 6 mai sur le coup de 16h (donc environ 10 du mat’ en Europe), j'ai repris un bateau vers la terre, puis un taxi partagé avec 3 américaines hautaines et nunuches, pour aller m'entasser dans une backpackers' house de Kota Bahru, et me coller avec une soupe de nouilles devant Internet, élections obligent. 2 soeurs parisiennes (des soeurs de famille, pas des bonnes soeurs) sont venues se joindre à moi, on a bu du lait de soja et attendu en interrogeant Google, pour finalement trouver vers minuit, sur le site du Temps, journal suisse, les résultats d’un sondage non diffusable/non diffusé en France : réalisé jusqu'a 17h30 en sortie de bureaux de vote parisiens, il donnait 75% de suffrages exprimés, Sarkozy gagnant à 54% et une fiabilité supérieure à 95%. Donc on est allés se coucher, pour constater le lendemain que c'était bel et bien vrai. Je ne vais pas m'étaler, je respecte la décision de 54% d’entre nous, mais je ce que je pense depuis, c'est qu'un peu plus d'1 Français sur 2 est bête, méchant ou crédule. Et c'est possible qu'il y en ait qui cumulent crédulité, bêtise et méchanceté. Passons...

Le lundi, visite de Kota Bahru au ralenti : kapitale du batik, du cerf-volant et de la toupie sportive. J'ai donc visité des musées avec des cerfs-volants, des toupies de sport (comme les autres mais en plus gros) et des pièces de batik, quelques mannequins en cire et habillés de batik en train de lancer des toupies ou de découper des cerfs-volants etc... Et bien sûr, le musée des sultans de Kota Bahru, avec des pièces incroyables (mais vraies) comme le décapsuleur Mickey ramené de Floride au jeune sultan par son parrain en 1977, une maquette d'A380 offerte par Jacques Chirac au sultan en 2005 et la collection de chapeaux et de miniatures de fusils de guerre du sultan. La culture a un prix qui n'est pas à la portée de toute les bourses, je vous le dis... j'ai même assisté à une démonstration de toupie sportive d'endurance, dans laquelle deux équipes doivent faire tourner d'énormes toupies de bois et de métal (toupies de sport, donc) le plus longtemps possible. A l'aide d'une corde enduite de wax et passée autour du bras pour éviter les accidents, un homme surpuissant et très très vieux (c'est un art difficile, le lancer de toupies) les amorce. Une fois lancées, on les bloque sur un socle anti-frottement et on regarde, donc, laquelle tourne le plus longtemps, ce qui dure... 1h45 environ, pour les meilleurs joueurs. Ça, c’est du sport, madame. Ça vous fait des parties d'un rythme incroyable, avec des rebondissements inattendus, et face auxquelles le curling passerait presque pour un sport de combat à la violence et au suspense insoutenables.

Fort de ces enseignements riches, je me suis tiré le lundi soir par un bus de nuit pour Penang. Bus de nuit un peu spécial, d'ailleurs, qui ne fait pas que partir et rouler pendant la nuit : il ARRIVE aussi pendant la nuit. J'ai attendu entre 4 et 6h du matin à la gare de ferries pour embarquer pour l'île de Penang où je suis encore. La ville principale, Georgetown, est un ancien comptoir de la compagnie des indes orientales. C'est magnifiquement rococo (roccocco?), dans la plus pure tradition du luxe cosy colonial, toujours de bon goût. Mais désormais décati et croulant. Un peu dandiesque et décadent, un peu vieux bourgeois en fin de règne. Un beau fort, des maisons magnifiques, des shop-houses, ateliers et entrepôts aux enseignes rouillées, défraîchies et où se mêlent les influences indienne, chinoise, thaï et malaise. Une atmosphère tout à fait charmante et un rythme délicieux. Ah ! Les effets positifs de la colonisation. Ahum... Après avoir arpenté le centre-ville à pied et m'être fait violence pour ne pas photographier CHAQUE maison en ruine, CHAQUE volet ou store rouillé, CHAQUE triporteur à pédales chargé de cartons douteux, j'ai finalement loué une moto et me suis lancé à l'assaut de l'île. La moto est une chose différente en Asie, je viens de l'apprendre. J'ai choisi une boite manuelle, comme les vrais, les bikers, les purs et durs, ceux qui portent des culottes et des bottes de moto, des blousons de cuir noir avec des aigles sur le dos. On m'a donné une Honda surprenante : 110cm3, monocylindre 2 temps, boite séquentielle de 4 vitesses, toutes vers le bas. Pas d'embrayage, pas de point mort. Et en plus, on roule à gauche. Enfin, la consigne, c'est de rouler à gauche. En pratique, on fait ce qu'on peut et on klaxonne. Les gens sont trrrrrrrrès courtois et les accidents sont plus rares que ce qu'on pourrait raisonnablement espérer. J'ai donc pu aller voir un jardin botanique plein de macaques et d'orchidées, des temples, des mosquées, des églises, des pagodes, un temple aux serpents, sans un seul serpent dedans (normal Sahib, on les laisse entrer dans le temple que la nuit, quand les visiteurs sont partis, sinon c'est trop dangereux, tu comprends, Sahib...), un parc naturel avec de la jungle et des criques désertes, des villages de pêcheurs etc. J'ai eu un rendez-vous avec une couchsurfeuse chinoise, au marché du village où travaillent ses parents, pour goûter tout ce que l'île compte de spécialités, aller acheter des crevettes fraîches et visiter les vergers et cultures de ses parents, maraîchers de leur état. Incroyable, fantastique.
Côté culturel : c'est de plus en plus incroyable ce que je bouffe (oui, je sais, j'ai des notions de la culture assez abdominales) dans ce pays ! Cette fois-ci, le riz bleu au poisson, le pisang murtabak (une sorte d'omelette-crêpe à la banane) et le laksa penang, une soupe de nouilles de riz épicée avec des bouts de poisson un peu douteux. J'ai goûté un truc incroyable : les chinois de Penang font un sirop glacé avec la pulpe du lao-hao. Son noyau, séchée, n'est autre que... la noix de muscade. Ca donne un putain de sirop ultra fort, qui fait mal au bide et à la tête en 2 minutes, même qu'il en reste encore plein à boire après ça et qu'on veut pas offenser son hôte... Et pourtant Dieu sait que j'aime la muscade et que j'en fourre dans tout ! Autre chose ? Ah oui ! Et je termine sur ça : j'ai enfin goûté le duryan. Le roi des fruits selon les Malais. C'est réputé très fin, très raffiné. Un met de prince. Alors bien sûr, d'accord, ils en conviennent, le fruit mûr sent mauvais (ça pue le chien mort). Mais alors, mauvais. C'est bien simple, tu marches dans la rue en Malaisie et tu as la sensation tout d'un coup qu'il y a un amas de chiens morts d'entérotoxémie depuis plusieurs jours juste à côté de toi. Tu tournes la tête et tu trouves invariablement un étal de fruitier qui vend des duryans. D’ailleurs, c'est interdit d'en introduire dans les hôtels ou les auberges en Malaisie, tellement ça pue ! Eh bin, je l'ai goûté. Et, surprise, ça produit exactement en bouche l'effet que ça produit dans le nez. C'est comme manger une dizaine de chiens morts d'entérotoxémie depuis plusieurs jours. Dieu du ciel, tous les goûts sont dans etc etc... En rentrant à Georgetown ce soir (18h), je suis tombé sur un temple bouddhiste immense, sur la colline qui surplombe la ville. Ils étaient en train de fermer mais j'ai pu entrer et me balader un instant, le nez en l'air, fasciné, jusqu'à me trouver nez-a-nez avec une déesse de 36m de haut (tu avais raison Guilhem, mon bouddha de 5m au Japon était ridicule), toute dorée au soleil couchant, en train de nous regarder avec un air bienveillant. Son sourire m'accompagne encore et je vous l'envoie donc, plein d'espoir et de lumière... Voilà. Désolé pour ce mail outrageusement long ; prenez soin de vous tous - individuellement, et dans la mesure de ce que la morale autorise, mutuellement - et a bientôt. Keamanan!

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